Des dominicains à Castelnau, en 1205 et 1922, et pas des moindres…
En ce début de 13ème siècle naissant, « l’hérésie cathare » agite notre région. Si, sur « Castelnau la catholique », face à cette situation, un vent d’indifférence semble caresser la cime des arbres qui bordent le Lez, c’est quand même ici que va prendre naissance la « remise au pas des hérétiques ». Dans son « Histoire du Languedoc », Gérard Cholvy, écrit : « c’est à Castelnau, aux portes de Montpellier, que l’évêque d’Osma, Diego de Azevedo et Domingo de Gusman de Calahorra (futur saint Dominique), rencontrèrent les trois légats du pape, l’un d’eux n’étant autre que l’ancien archidiacre de Maguelone, Pierre de Castelnau. C’est à partir de là qu’ils auraient lancé leur campagne de prédication contre le catharisme… ». Le rôle de Castelnau et de son église, devait se limiter à celui de base de lancement de « propos guerriers » mais pas de centre de recrutement pour des « troupes fratricides ». Les « bonnes paroles antihérétiques » prononcées donc par Domingo de Gusman de Calahorra, notre actuel saint Dominique, ont laissé, gravée dans le marbre d’un pilastre central de l’église Saint Jean-Baptiste, la mention épigraphique suivante : « Voici l’empreinte primitive et pratiquement telle qu’à l’origine de l’ordre des prêcheurs ». Cette mention est datée de 1205.
Une nouvelle et récente recherche dans les archives de l’église Saint Jean-Baptiste nous a conduit à la découverte d’une information qui nous avait jusqu’alors échappée. En effet, dans son carnet de notes, à la date du 31 janvier 1922, le père Augustin Villemagne, alors curé de la paroisse écrit : « Le R.P. Janvier, célèbre prédicateur de carême à N.D. de Paris, après avoir, au service de quarantaine le matin du 31 janvier, prononcé l’oraison funèbre de S.E. le Cardinal de Cabrières (1), est venu, le soir, en pèlerin, à Castelnau-le-Lez, en compagnie de Mr Vernier, pour prier dans l’église où Saint Dominique pria et où, en compagnie de Pierre de Castelnau et autres, il tint des conférences renommées, en 1205 ».
Mais qui est donc ce Révérend Père Janvier ?
Il nait en Bretagne, dans la commune de Saint-Méen-le-Grand (diocèse de Rennes), département de l’Ille-et-Vilaine, le 19 décembre 1860. Il entre à l’âge de 20 ans, le 4 octobre 1879, dans l’ordre des Frères prêcheurs à Amiens. L’année suivante, à la même date il prononce sa « profession simple ». Toujours à la même date, en 1883 il prononce sa « profession solennelle ». Il a alors quitté Amiens pour Volders, en Autriche (2). C’est à Innsbruck qu’il sera, le 27 juillet 1884, ordonné prêtre. De retour en France, il occupe la fonction de prieur à Flavigny-sur-Moselle en Lorraine, de 1895 à 1901. Il rejoindra en 1922 et pour trois ans, le couvent Saint-Honoré de Paris. Mais depuis 1903, et ce au cours de vingt-deux carêmes successifs, il prêchera la morale selon Saint Thomas d’Aquin depuis la chaire de Notre-Dame.
L’homme, ses convictions, ses combats, son vécu personnel et sacerdotal, tout ce qui fait l’existence de ce dominicain « hors normes », qui nous quitte le 28 avril 1939, à l’âge de 78 ans, mériterait à lui seul, la rédaction d’un ouvrage. Nous vous invitons, pour en savoir plus à vous reporter à la riche étude conduite par Laudouze André (4), ayant pour titre « Un théologien d’Action Française, le Père Janvier ? », publiée en 1989 dans la « Revue d’histoire de l’Église de France », tome 75, n°195. Un autre ouvrage à consulter, « Le cardinal de Cabrières (1830-1921) », Gérard Cholvy, Cerf Histoire, 2007.
Prédicateur apprécié et par là-même très demandé, Marie-Albert Janvier figure parmi les intervenants de nombreux congrès eucharistiques nationaux, donc tenus en France, et de congrès similaires, mais internationaux (3). Nous avons souhaité mentionner ci-après sa participation à ces rassemblements pour donner, au lecteur, une idée de l’impressionnante activité de notre dominicain, compte tenu que ce n’était pas là son unique occupation. Dans le cadre des congrès nationaux, il participe à celui de Faverney (70) en 1908 (le 1er), Paris (75) en 1923 (le 4ème), Rennes (35) en 1925 (le 5ème), Lyon (69) en 1927 (le 6ème), Bayonne (64) en 1929 (le 7ème) et Angers (49) en 1933 (le 9ème). (3) Du 13 au 17 juillet 1898, il est participe au 11ème congrès eucharistique international qui se tient à Bruxelles (Belgique). Il y prêche sur « la présence réelle du Christ dans la Sainte Eucharistie », car pour notre dominicain, « la présence réelle, corps et sang, esprit et cœur, divinité et humanité, du Christ dans l’eucharistie » ne fait aucun doute. Il est aussi présent lors du XXVème congrès international, qui se tient du 22 au 26 juillet 1914 dans le sanctuaire marial de Lourdes. Depuis la tribune improvisée sur les marches de la Basilique du Rosaire, il vante « les miracles eucharistiques à Lourdes ». Les temps forts qui égrènent la longue histoire de la cité de Marie ont toujours fait l’objet de l’édition de cartes postales. Un rassemblement tel qu’un congrès eucharistique, international de surcroit, ne serait échapper à la règle. A notre connaissance, plus de 60 cartes furent éditées à cette occasion. La renommée de « tribun ecclésiastique », qu’était le Père Janvier, lui valut d’être flashé à deux reprises. Une première fois pendant son intervention à la tribune susmentionnée et une seconde fois alors qu’il sort de la Crypte, au pied de la Basilique de Notre-Dame de Lourdes, dite basilique supérieure. Nous reproduisons ici, ces deux documents.
(1) Lors de sa création, en 1911, à la haute dignité de cardinal, Mgr de Cabrières, archevêque de Montpellier, se rend à Rome pour y recevoir du pape Pie X les insignes cardinalices. Parmi les amis, clercs et religieux présents, il y a des compatriotes dont le R.P. Janvier. Mgr de Cabrières meurt en son palais épiscopal de Montpellier le 21 décembre 1921. Pour le père Janvier, au cours du « service de la quarantaine » en ce matin du 31 janvier, clamer l’oraison funèbre « d’un frère royaliste » est un devoir auquel il ne saurait se soustraire.
(2) Le 29 mars 1880, deux décrets, signés par Charles de Freycinet, président du Conseil, et Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, ont pour but d’inviter les congrégations à demander l’autorisation « d’exister ». Ne pas se conformer à ce diktat c’est la dissolution, la dispersion, voire la disparition assurée. Grand nombre de congrégations refusent de s’incliner. Des couvents dominicains sont alors fermés. Ceci explique le fait que le RP. Janvier soit parti « s’aérer dans le Tyrol autrichien ».
(3) Les congrès eucharistiques nationaux se sont tenus (en France) de 1908 à 1966. Les congrès eucharistiques internationaux, dont le premier s’est tenu à Lille (59) en 1881, perdurent. Le dernier s’étant tenu en 2016 à Cebu, aux Philippines.
(4) André Laudouze. Dominicain, né le 13 août 1928 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), mort le 25 novembre 1992 à Lyon (Rhône).
Pierre-Denis REBOULIN