Comme toujours, l’évangile du jour se révèle d’une actualité pointue, bien propre à éclairer et conforter une Eglise en crise.
Toute la journée Jésus avait parlé à la foule en paraboles. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : » Passons sur l’autre rive ». Quittant la foule, ils emmènent Jésus dans la barque, comme il était ; d’autres barques le suivaient. Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque si bien que déjà elle se remplissait d’eau. Et Jésus dormait sur le coussin.
Ses compagnons le réveillent : » Maître, nous sommes perdus ! Cela ne te fait rien ? ».
Réveillé, il interpella le vent avec vivacité et dit à la mer : » Silence ! Tais-toi ! ». Le vent tomba et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit : » Pourquoi avoir peur ? Comment se fait-il que vous n’ayez pas la foi ? « .
Saisis d’un grande crainte, ils se disaient entre eux :
» Qui est-il donc pour que même le vent et la mer lui obéissent ? ».
La nuit tombe vite et c’est précisément alors (« le soir ») que Jésus, fourbu après des heures d’enseignement, prend l’initiative de gagner l’autre rive du lac, c’est-à-dire d’aborder le pays païen. Il ne s’agit donc pas d’un moment de détente après une journée de travail mais d’un départ en mission vers l’extérieur. Il est donc normal que les forces du mal se déchaînent, que des résistances se lèvent avec violence.
C’est l’heure du déracinement, du passage vers l’étranger – donc l’heure de l’opposition, de la peur – donc l’heure d’une foi nouvelle.
UN PASSAGE VERS L’INCONNU
N’est-ce pas ce que nous sommes appelés à vivre aujourd’hui ? Bien des chrétiens n’ont pas compris que le temps de la chrétienté était terminé. Finis les siècles d’une Eglise installée, puissante, avec une pléthore de prêtres, des réseaux d’organisations confessionnelles, des églises combles, la catéchèse pour toute la jeunesse du pays. L’Eglise a joué son rôle prophétique en inventant universités, écoles pour pauvres, soins des plus malheureux, mutuelles. Par le phénomène dit de sécularisation, l’Etat moderne ne veut plus la tutelle de la religion : il entend assumer lui-même ces tâches de justice, d’enseignement, de médecine, de culture.
Devant cette évolution qui tend à marginaliser l’Eglise, certains jubilent devant ce qu’ils annoncent comme la fin de la religion.
Beaucoup de croyants, eux, se lamentent devant les effondrements auxquels l’Eglise doit consentir : le prêtre n’est plus une personnalité, des églises deviennent des salles de concert ou des musées, les pratiquants ne sont plus qu’un petit troupeau. L’Eglise elle-même est objet de dérision, ses interventions publiques sont considérées comme une intrusion indue dans le domaine socio-politique.
Dans cette tempête qui arrache toiles et gréements, des multitudes ont décidé de quitter la barque de l’Eglise où ils ne retrouvaient plus leurs assurances de jadis. Et ceux qui restent en veulent à cette société matérialiste : ils dénoncent le dévergondage des moeurs, les magouilles du monde de la finance, la corruption des milieux politiques, le manque de générosité des jeunes allergiques à l’héritage chrétien.
ALORS DÉNONCER LE MONDE OU CONVERTIR LES CROYANTS ?
En relisant les Ecritures, on remarque, à notre grand déplaisir peut-être, que les prophètes bibliques ne vitupèrent guère contre les Puissances païennes qui écrasent Israël et lui infligent des désastres. Racontant les défaites qui ont conduit à la ruine de Samarie puis de Jérusalem et à l’incendie du temple, ils en font porter la responsabilité première sur le peuple d’Israël lui-même et principalement ses dirigeants qui n’ont pas été fidèles à la Loi de Dieu.
Le manque de foi des fidèles est beaucoup plus grave que la perfidie des ennemis et la puissance de leurs armées.
De même Jésus ne tonne pas contre les exactions et les tortures de l’armée romaine d’occupation pas plus qu’il ne s’emporte contre les malfaiteurs et les prostituées. Curieusement mais tout à fait dans la ligne des prophètes, il s’en prend à ceux qu’il juge les vrais coupables : le haut clergé, imbu de ses privilèges, et qui a transformé le temple en un système bancaire très lucratif ; les théologiens qui multiplient les interdits oppressants, faisant peser un joug insupportable sur les consciences ; et les confréries de laïcs, ces fidèles pharisiens qui camouflent leur amour de l’argent sous des pratiques pieuses et cherchent à faire leur salut par leurs propres ½uvres.
Nous sommes peut-être dans une situation analogue : le Seigneur nous presse de laisser là le vieux monde pour partir vers de nouvelles rencontres. Les actions de nos prédécesseurs ont été belles, utiles, fécondes mais sans doute faut-il maintenant oser les abandonner pour nous enfoncer au coeur des défis gigantesques d’aujourd’hui : famine, péril nucléaire, destruction de l’environnement, contagion des drogues, chômage, solitude, désespérance. Dans cette cacophonie d’horreurs, comment faire entendre la Bonne Nouvelle aux masses qui ignorent tout de l’Evangile ?
Nous cherchons des procédés pas trop dérangeants …et voici la nuit noire et le soulèvement des forces adverses, voici non seulement les assauts des ennemis de l’Eglise mais les farouches résistances des croyants accrochés à leur ancien monde, à leurs anciennes pratiques, à leurs anciennes certitudes.
Secoués par les épreuves, risquant de chavirer, nous paniquons, affolés par les ténèbres. Nous crions au secours et le Seigneur se tait. Est-ce qu’il se désintéresse de son Eglise désemparée ? Est-ce qu’il désapprouve nos initiatives ?
Mais Jésus qui était COUCHÉ se met DEBOUT !
Lui qui était ENDORMI SE RÉVEILLE (le verbe qui désignera plus tard la résurrection !)
LUI QUI NE RÉPONDAIT PAS PARLE.
Lui qui était appelé « Maître », enseignant, se révèle tel le SEIGNEUR, capable d’un mot d’apaiser la tempête – privilège de Dieu dans la Bible :
» Ceux qui partent en mer sur des navires ont vu les ½uvres du Seigneur…Un vent de tempête soulevait les vagues ; ils montent et descendent, ils sont malades à rendre l’âme, ils tanguent. Ils crient au Seigneur dans leur détresse et il les tire de leurs angoisses.
Il réduit la tempête au silence et les vagues se sont tues…
Qu’ils célèbrent le Seigneur pour sa fidélité…(Psaume 107)
Encore et toujours la même question se pose : QUI DONC EST-IL CE JÉSUS ? S’il n’est qu’un enseignant et l’évangile une théorie, nous coulerons ou nous rentrerons dans nos abris. S’il est le SEIGNEUR VIVANT, il nous faut prendre le large, répondre aux appels des multitudes. La tempête pourra bien se déchaîner et le silence de Dieu nous laisser dans la nuit. Seule la confiance totale dans le CHRIST de Pâques – couché puis debout, mort puis vivant – exorcisera nos peurs.
Le pire danger ce n’est pas la tempête, c’est de ne pas être avec Jésus dans la tempête, ce n’est pas l’épreuve, c’est de ne pas être avec Jésus dans l’épreuve.
Quand saint Marc rédige son évangile, dans les années 60-70, l’église de Rome est persécutée et on peut penser qu’il veut par ce récit l’encourager dans l’épreuve, l’appeler à mettre sa confiance dans son Seigneur ressuscité.La barque de l’église aujourd’hui semble tout autant menacée et nous chrétiens, nous nous sentons souvent cruellement faibles. Réentendons la question du Christ: Pourquoi avez-vous peur? N’avez-vous pas encore la foi?Non pas Pourquoi n’avez-vous pas la foi? Mais pourquoi n’avez-vous pas encore la foi ? Pas encore.
Jésus ne chôme pas. Toute la journée, il a parlé à la foule. Sa mission du jour est accomplie et certainement il est épuisé ! Il dort dans la barque, lorsque ses disciples l’interpellent. Il n’est pas troublé par la tempête. Ce n’est pas le vent, ni l’eau qui pénètre dans le bateau, ni le bruit des vagues qui le réveillent. Ce sont ses disciples effrayés. Quel parallèle avec nos vies ? Avec chacune de nos vies ? Le jour de notre baptême, nous sommes montés dans la barque avec Jésus. Par notre vie de chrétien, en Eglise, nous témoignons de la confiance que nous avons mise en Jésus Christ. Quand nous faisons le signe de la croix, quand nous proclamons le credo, nous témoignons de cette confiance. Oui, je crois en Dieu, le Père créateur, ce Dieu de tendresse et de miséricorde, ce Dieu qui m’aime, comme je suis, avec mes qualités et mes faiblesses. Ce Dieu qui me dit « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ». Et je crois en Jésus, son fils, qui a vécu ma condition humaine jusqu’au bout, qui par sa vie a témoigné de l’amour qui le lie à son Père, cet amour qui m’a été donné. Enfin je crois à l’esprit saint, cet esprit qui vit en moi, qui m’anime, qui me met en relation avec les autres et avec Dieu mon Père. Cette foi proclamée dans le credo, gestuée dans le signe de croix, c’est la certitude qu’en toutes circonstances, Dieu se fait proche, Christ est avec moi. Quelles que soient les tempêtes de ma vie, Jésus est présent, attentif, et par sa présence il m’aide à dépasser les épreuves. Comme les disciples sur le bateau, tournons-nous vers le Seigneur, secouons-le, réveillons-le. « J’ai peur Seigneur, j’ai besoin de toi, j’ai besoin de ta présence réconfortante. » Jésus ne reste pas sur la rive, il monte dans la barque avec moi, ce n’est pas pour rien ! Le Dieu des chrétiens ne nous observe pas de là-haut, il est présent avec nous, au cœur de la tempête. C’est notre force, le croyons-nous ?
« Passons sur l’autre rive », au risque de la tempête: c’est Jésus qui entraine ses disciples dans l’inconnu et moi avec. Et Jésus dort sur le coussin arrière, comme le ferait un petit enfant dans une tempête s’il est dans les bras de sa maman: La confiance, avoir confiance en celui qui m’a donné la vie et qui m’ entraine à sortir quotidiennement de mes sécurités pour m’enrichir de découvertes, en rencontrant les autres, en les aimant, les aidant, au risque de me bruler les ailes, de me perdre, (petites morts parfois) mais aussi simplement au risque de connaître la joie de traverser les difficultés avec le Seigneur à qui je confie ma vie. Je constate que, même si ce n’est pas facile, les options prises avec le Seigneur, réussissent et apportent équilibre et paix.
« Où étais-tu quand je créais la mer?… » Avec humour et tendresse, le Seigneur répond à Job qui lui intimait l’ordre de s’expliquer sur l’origine de la souffrance:- A ta place, tu ne peux comprendre la grandeur et la complexité de la création, mais je suis là.
A la suite de mon ami Job, je ne peux prétendre comprendre la Vie dans sa totalité ni la maîtriser: mystère de la vie, de la mort, de la souffrance et du mal. Je ne peux que contempler humblement la beauté de cette nature-création malgré le mal, qui la traverse, et faire confiance à celui qui en est l’Auteur et le Maître.
Martine Vercambre
Dans le passage du livre de Job que nous lisons aujourd’hui est le début de la réponse de Dieu. Ce que l’auteur du livre de Job veut nous faire entendre ici, c’est : Confiance, vous êtes dans la main de Dieu ; quelles que soient les tempêtes de votre existence, il ne les laissera pas vous submerger. Seigneur, je sais à tout instant dans les tempêtes de ma vie, que tu es là et restes le maître des flots. Pas plus que Job, je ne trouve d’explication satisfaisante aux souffrances que nous traversons, mais comme lui, nous sommes invités à les vivre dans la confiance. Jésus dort sur un coussin alors que la tempête fait rage… n’est-ce pas le bonheur de celui qui s’abandonne à Dieu, la confiance totale tel un nourrisson dans les bras de sa mère. « Père, entre tes mains, je remets ma vie ». N’avons-nous pas souvent l’impression que Jésus dort, alors que nous sommes dans la tempête ? Prenons le temps de l’appeler. Et comme l’écrit Saint Augustin : « Ton cœur est en péril, ton cœur est secoué par les flots… Pourquoi ? Parce que le Christ s’est endormi en toi, c’est à dire que tu as oublié le Christ. Souviens-toi du Christ, que le Christ s’éveille en toi. Pense à lui ». Le réveil de Jésus évoque celui du matin de Pâques. Se lever, se réveiller. « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » nous dit le Christ Ressuscité. Seigneur, aide-moi. Aide- moi à comprendre que tu es toujours près de moi. Que ce sont les tempêtes de mon cœur que tu apaises. Aux peurs qui me font trembler, tu dis : « Silence ! ». A la rancune ou la violence qui m’agitent, tu dis : « Tais-toi ! »Et le calme revient. Alors je peux reprendre la route, marcher avec toi, aller vers les autres. Merci Seigneur d’être toujours là, et de nous donner ta force et ta paix.
Ce passage d’évangile est aussi appelé celui de la tempête apaisée. Cet épisode focalise notre attention sur la tempête elle-même et sur la puissance du Christ capable de dompter les flots et commander les éléments. La dimension miraculeuse du texte retient à juste titre notre intérêt ; elle ne doit pas occulter un autre aspect tout aussi important, celui du commandement de Jésus à l’origine de la traversée : » Passons sur l’autre rive. « . La puissance de Jésus, puissance de Dieu. Ce passage est placé au début de l’évangile de St Marc, les apôtres ne connaissent pas Jésus. Ils le voient fatigué comme un homme, ils vivent quotidiennement avec lui et le considèrent comme un maître qui fait des miracles. Mais voici que maintenant il commande aux éléments ! Les apôtres s’interrogent et tentent de comprendre cet événement extraordinaire… Ce qu’il y a d’essentiel, c’est que les disciples perçoivent en Jésus une puissance qui vient d’ailleurs. Jésus se révèle comme quelqu’un rempli de la présence de Dieu. Mais, parce qu’il est totalement humain, cette puissance reste cachée. Elle ne se révèle pas à tous, mais seulement à ceux qui s’approchent de Jésus par le cœur dans la foi à ceux qui vont au delà des apparences. St Augustin écrivait : » Ils ont connu l’homme, ils ont cru le Dieu en lui. » L’apôtre Pierre le confessera au nom de tous en disant de Jésus : » Tu es le Christ sauveur, le Fils du Dieu vivant. » C’est la foi qui fait comprendre aux apôtres la personne de Jésus. La foi naîtra de la résurrection. Ce jour-là se révèlera pour eux la double identité de Jésus. Le Jésus faible et fatigué dormant dans la barque et le Jésus fort qui calme la tempête est vrai Dieu et vrai homme.
Jésus dit à ses apôtres : » Passons sur l’autre rive. » Cette demande de Jésus est d’une grande richesse spirituelle. Tout d’abord, il convient de préciser que dans l’imaginaire des Juifs de cette époque, la mer représente la mort. Jésus nous enseigne et nous entraîne donc à passer de la mort à la vie ! Dans ce texte, il s’agit beaucoup plus que d’une banale traversée de la mer de Galilée. La mer de Galilée est plus qu’une frontière entre le monde Juif et le monde païen, mais une véritable séparation culturelle et spirituelle, entre la terre dite » sainte » du peuple de l’alliance et le territoire des païens.
Ce passage de Jésus d’une rive à une autre symbolise toute l’aventure de la mission, la sienne et celle de la communauté chrétienne qui est toujours en butte avec les forces du mal. Une fois de plus, Jésus ne se laisse pas enfermer dans un lieu, il s’arrache à la foule et poursuit sa mission. Il fait confiance à ses disciples et se laisse emmener dans la barque.
Quel message pour l’Église et pour nous-mêmes ? Aujourd’hui, nous faisons l’expérience que Jésus semble dormir dans le monde, dans l’Église, et parfois dans nous. Et pourtant, il est là toujours présent et puissant pour nous sauver comme le dit St Paul au début de l’épître aux Romains. Si nous faisions suffisamment confiance, si nous demeurions auprès de Jésus, nous recevrions la force pour mener la barque de l’Église et la nôtre sans le réveiller ! Mais nous menons souvent seuls ou presque la barque de notre vie et un jour survient la tempête : des événements douloureux …Nous pouvons basculer dans le néant ou crier vers le Seigneur qui est toujours à nos côtés car il ne nous abandonne jamais. Cet épisode nous invite à devenir des chercheurs de Dieu. Des hommes et des femmes qui se laissent interpeller par le message du Christ et se convertissent. C’est en ouvrant notre cœur que nous découvrirons que Jésus est » le Chemin, la Vérité, la Vie » qui mène à Dieu.